D’île en île

En ce beau mardi matin ensoleillé, calme, nous sommes enfin prêts à partir vers Harrington Harbour.  Les bagages vérifiés la veille, le décompte fait, tout porte à croire que nous partirons sans aucune embuche. Ce voyage, préparé depuis des mois s’annonce palpitant. L’excitation est à son comble. Tandis que monsieur affiche un air de zenitude totale, personne ne peut s’imaginer que le vol nous amenant à destination vient d’être annulé. Madame, cheveux en broussaille, les papillons au ventre, court d’un étage à l’autre devant nos yeux intrigués. Nous sommes témoins du jour et de la nuit entre monsieur et madame, le yin et le Youg. Un appel suivant un autre, la sonnerie retentissante du téléphone est coordonnée avec l’agitation de madame. Les pas pressés se font entendre et la respiration accélérée de madame sous -entend un problème majeur. Trois heures de négociation plus tard, madame Karine nous annonce enfin le grand départ imminent. Tour de magie ou négociation féroce, peu importe, c’est à toute vitesse qu’on s’habille.

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Prêts pour l’aventure en Basse-Côte-Nord! Crédit photo : Karine Dubé.

La hâte et la joie s’emparent de nous. L’excitation est au rendez-vous. Le bonheur prend le contrôle et en un rien de temps, nous sommes prêts au décollage, photo officielle oblige! Émerveillés par le luxe de notre avion et le chic de son apparence, certains ont les yeux rivés vers les collations gracieusement offertes par la compagnie CHRONO tandis que d’autres bavardent comme des pies.

Au-dessus des nuages, l’appareil vole comme un oiseau. La prise de vue est spectaculaire. Nos yeux sont incontrôlables, ils vont dans tous les sens. Le paysage est magnifique. Assis confortablement, nous sommes aux anges! Ce vol de 45 minutes passe à une vitesse éclair et notre atterrissage se fait en douceur. Nous voilà déjà à Chevery. Malgré les problématiques matinales, nous voilà donc arrivés en avance à notre grand plaisir. Tandis que nous sommes retenus dans l’habitacle, l’arrivée d’un deuxième appareil nous surprend. Quelle n’est pas notre surprise quand madame Kim et Adam junior débarquent avant nous malgré notre arrivée prioritaire! Ce rassemblement joyeux et inattendu fait le bonheur de la troupe. Sous le regard accueillant de la directrice de l’école Harrington Harbour, le transport en hélicoptère s’organise.

À nouveau, les palpitations du cœur sont au rendez-vous. Les battements s’intensifient à l’idée de voler en hélicoptère, une première pour la plupart des gens du groupe. Les consignes données, nous sommes envahis par le bruit qui perce les tympans, les hélices qui tournent violement et mènent un brouhaha et nous sommes frappés par un vent glacial qui heurte notre visage tout en décoiffant nos chevelures que nous avions pris soin d’améliorer. Les mains bouchant nos oreilles, le corps penché devant les hélices, bien qu’absolument pas nécessaire nous donnent un air de débutants en la matière…Malgré les explications explicites et claires de la contrôleuse, l’aide est requise pour enfiler la ceinture de sécurité. Malgré un décollage tout en douceur, l’hélicoptère ballote et nous donne l’impression de tanguer. Ce passage trop court entre Chevery et Harrington Harbour, d’une durée de 7 minutes, nous laisse à peine le temps de visualiser l’ampleur de la nature de la Basse-Côte-Nord. Au loin, quelques motoneiges circulent rapidement sur le pont de glace.

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Hana accueille sa jumelle Évangéline avec une belle affiche. Crédit photo : Karine Dubé.

Nous sommes loin de nous imaginer l’accueil grandiose que nos hôtes nous réservent. Pancartes, sucettes, photos, accolades et mot de bienvenu sont à l’honneur. Entre le bruit perçant de l’hélicoptère et les paroles de la communauté chaleureuse, on sent un tourbillon d’émotions qui oscillent entre le stress, la joie, l’intrigue, la curiosité et la gêne. Dès lors, nous sommes jumelés à notre jumeau et une amitié nait instantanément.

 

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Enfin réunis en vrai! Le groupe d’Anticosti et le groupe de Harrington devant l’école Harrington. Crédit photo : Karine Dubé.

Dans nos yeux, des étoiles s’illuminent devant autant d’activités, de nourriture et d’entraide. Le souper POT LUCK préparé par la communauté et les nombreuses activités organisées par les enseignants nous comblent de bonheur. La glace est brisée, les liens d’amitié sont tissés. Ce périple s’annonce sensationnel! La nuit tombée, c’est en motoneige, armés d’un casque de Ranger que nos familles d’accueil nous amènent à la maison, notre maison temporaire, celle qui nous permettra de baragouiner l’anglais sur l’ile d’Harrington Harbour, cette île de la tranquillité ou aucune route n’est asphaltée et ou seuls quelques bouts de trottoirs de bois percent la neige. Ce village juché sur des collines de roches prend place dans une nature démesurée. La neige scintillante s’allie naturellement aux mille et unes étoiles dans le ciel. Ainsi, le sommeil s’annonce serein.

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Une magnifique journée pour parcourir un bout de Route Blanche! Crédit photo : Karine Dubé.

À l’aube, les déjeuners gargantuesques s’organisent dans les familles. Le prêt de vêtements adaptés à la région s’effectue. Habillés comme des ours, toujours vêtus de casques, 9 heures tapantes sonnent. Les motoneiges garées devant l’école forment un troupeau massif. Entre motoneiges, traineaux et matériel d’excursion, la route blanche nous parait sinueuse, cahoteuse, mais si impressionnante. Tout autour, un tapis blanc nous encercle sous un soleil vif qui se reflète sur la neige nous obligeant à porter de la crème solaire et des verres fumés. Un nuage de neige suivait avec élan chaque véhicule. En deux temps trois mouvements, les hommes installent les tentes, percent les trous, coupent les bûches de bois servant de bancs pour nous offrir du confort dans l’attente d’une pêche miraculeuse. Pendant ce temps, les jeunes installent les nombreuses brimballes tandis que la musique raisonne et marque le coup d’envoi d’une journée inoubliable.

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Isaac à l’oeuvre. Crédit photo : Karine Dubé.

C’est sous un soleil radieux et plombant que les premiers éperlans se montrent le bout du nez. La chaleur envahie le campement et dès lors, le printemps est de la partie! Hot-dog sur le feu, chocolat, croustilles, bonbons, tire sur neige et spécialité de pain au lait condensé sucré activent nos papilles gustatives! La politique alimentaire est rapidement délaissée pour être remplacée par un festin royal donnant à certains des yeux plus grands!

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Alexis le pêcheur. Crédit photo : Karine Dubé.

Défis relevés, les poissons sont au rendez-vous et nombreux. La construction d’un gâteau de neige, le frisbee, la chasse aux trésors se succèdent toujours dans une ambiance festive de découverte. Français et anglais s’entremêlent dans les discussions de plus en plus animées toujours parsemées de fous rires. Malgré le plaisir du moment, toute bonne chose a une fin. En un rien de temps, tout disparait laissant que pour seules traces de notre passage, les trous brillants sous le soleil de feu. Au retour, le froid envahissant nous rappelle que c’est l’hiver. À la file indienne tel un convoi militaire, une cinquantaine de motoneiges sillonnent les sentiers enneigés de la route blanche. Ainsi nous traversons le 50ième parallèle.

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Tous les élèves, amis et familles d’accueil avec qui nous avons passé une belle journée à Darby Lake. Crédit photo : Karine Dubé.

Bien que notre corps et que nos yeux ressentent la fatigue du plein air, nous rassemblons l’énergie restante pour aller manger au restaurant de l’île Le bar la Séduction! Le ventre bien rempli, les amitiés continuent de se serrées. Entre billard, prise de photos et conversations profondes…, notre anglais commence vraiment à s’améliorer. La tête remplie de belles images de cette journée mémorable, nous rentrons nous glisser sous les couvertures. Les bras de Morphée nous accompagnent et c’est sans se faire prier que le sommeil profond s’empare de nous!

Au petit matin, le doux temps nous accompagne à nouveau. L’astre du jour est toujours de la partie. Il répand de sa lumière sur tout Harrington. D’un pas décidé et au pas de course, nous parcourons le village en quête de défis. Ainsi nous allons à la rencontre des gens de la communauté et de son histoire. La beauté du coin est dévoilée au jour naissant et au grand plaisir des élèves. Le rallye photos nous permet de nous exprimer avec une plus grande aisance dorénavant en anglais.

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Les 2e-3e années dans une course. Crédit photo : Karine Dubé.

Au Zénith, s’organise des olympiades d’hiver. Entre les épreuves corsées du sac de patates et la course à quatre pattes, se succèdent des épreuves toujours plus ridicules les unes que les autres. Applaudissements, sifflements, encouragements, l’ambiance est festive et animée sous des airs de musique provenant du haut-parleur de la motoneige, emblème de Harrington Harbour. La compétition est féroce.  Déterminés à gagner, on joue du coude. Entre chiens et chats, la rivalité est à son comble. L’épreuve finale du souque à la corde donne le coup de hache!

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Tiiiiiire!! Crédit photo : Karine Dubé.

Adultes contre enfants, en un rien de temps, les jeunes vainqueurs affichent une fierté déconcertante. En effet, les enfants sont victorieux et ne se cachent guère.   Rapidement, tous rassemblés à la bibliothèque, le tintement des médailles est assourdissant. Digne d’une réelle remise de médailles olympiques, l’atmosphère bat son plein. Les projecteurs sont rivés vers les gagnants. Gaieté et satisfaction triomphale émanent de la pièce bien que le chagrin remplace temporairement notre excitation au départ de Kim et d’Adam junior. Étreintes et colleux pour notre petit rouquin et notre grande brunette que nous reverrons normalement demain.

Les adieux terminés, on passe du coq à l’âne. Les mains créatives alliées à notre imagination débordante, c’est le temps d’un travail collectif. Ainsi s’entame la construction d’un bolide de neige. Cette luge devant supporter deux personnes dans la pente est sans contredit l’activité scientifique la plus cognitive et définitivement inspirante. Malgré les investissements nombreux et réels, deux équipes ont relevé le défi et ont atteint la ligne d’arrivée. Heureusement, nous gardons de bons souvenirs de ce travail d’équipe. C’est avec légèreté que nous récupérons les bouts du bolide éparpillés et que nous poursuivons avec enthousiasme la glissade sur neige. Une aventure palpitante!

Le soir venu, au déclin du jour, la nostalgie s’empare de nous sachant que nos baluchons se resserrent tranquillement pour le grand départ imminent. Entre jeux d’habileté, le limbo, le laser et les jeux de quilles, nous parvenons à oublier quelques instants notre tristesse. C’est le moment de remercier les familles, les enseignants et nos jumeaux qui ont eu tant d’implication pour faire de ce séjour un moment gravé à jamais dans nos mémoires. Nous profitons de chaque minute offerte.

À la pointe du jour, vendredi le 15 mars, c’est un groupe de jeunes accompagnés des familles en pyjamas et des enseignants qui se pointent à l’héliport. Le cœur lourd, le pincement au ventre, les yeux remplis d’eau, on agite les bras en guise d’aurevoir. L’émotion est à son summum! Ainsi, nous décollons doucement vers Chevery la tête pleine de souvenirs.

À peine arrivés à destination, le visage de madame Karine s’assombri. Elle semble chercher une solution. Madame balbutie des mots à peine audibles, comme pour se faire rassurante. Le visage compatissant, l’annonce tombe. Les conditions météorologiques nous obligent à rebrousser chemin! Madame semble s’attendre à un déchirement, des moues ou des visages apeurés, mais il n’en est rien! Des cris de joie retentissent dans tout l’aéroport! Machinalement et avec surexcitation, les uns se précipitent vers l’hélicoptère pour être aux premières loges tandis que d’autres se ruent aux fenêtres. Madame s’évertue à rassurer les parents qui attendent leur petit chéri avec impatience! On apprendra plus tard que l’énervement des jumeaux était tout aussi fracassant et naturel à Harrington! Retour au point de départ, un tour de machine en plus, le sourire aux lèvres.

Le plan B est mis à exécution en un temps record et cette fois, la rencontre se fait tout naturellement comme si on se connaissait depuis des années. Quelle frénésie! Entre maux de ventre d’un trop plein de nourriture, une fatigue excessive d’une foule d’activités aussi amusantes les unes que les autres et les allers-retours successifs, tout le monde tombe dans l’énergie renouvelable. Les batteries sont chargées et le musée Rowsell est notre priorité. Que de découvertes et d’histoire au grenier. Tandis que monsieur nous raconte avec amour et passion l’histoire de l’île, madame Karine traduit les technicalités. Dire que le premier bébé canadien français a vu le jour à Harrington. Émerveillés de nos découvertes, on repart la tête pleine de connaissances en direction de la radio locale. C’est au sommet de la bute en avant de la radio qu’on se positionne pour offrir nos meilleurs vœux à Madame Martine qui est dans nos pensées pour son anniversaire à Anticosti. Quel adon de pouvoir s’enregistrer dans le studio et saluer la population. On sort notre anglais et d’un ton rassuré et rassurant…heu ou presque HELLO HARRINGTON FROM ANTICOSTI!

Puis les yeux de tous devenant lourds, nous profitons de ce qui devaient être nos derniers moments ensemble pour jouer au bingo et écouter un film en grande famille. Monsieur Adam est fier de ses élèves qui suivent ardemment l’affichage des nombres en anglais. Le travail porte ses fruits puisque chacun notre tour, on savoure une victoire comme si nous venions de gagner des millions à la loterie. Le bingo, c’est du sérieux, digne d’un grand film. Puis, retour au calme, baluchon à refaire, derniers aurevoirs à reformuler. De nouveau le cœur noué, la nuit nous transporte au lendemain. Tandis que nous profitons une fois de plus de déjeuners gargantuesques et de gâteries matinales offertes par les hôtes, madame s’active à discuter avec le pilote et les parents pour donner le plan. Entre ciel et terre, la visibilité est faible. En attente de l’hélicoptère à l’héliport, toutes les familles sont encore présentes. Le vent se lève pour ne pas dire, il vente à écorner les bœufs! En attente de l’appareil, les oreilles tendues au ciel, seuls les sifflements du vent se font entendre jusqu’au retentissement de la sonnerie du téléphone qui sort tout le monde de leurs rêveries! La nouvelle tombe, l’hélicoptère ne peut pas voler, nous sommes coincés à Harrington et notre avion est déjà en vol vers Chevery! Dans ce village, le froid, la poudrerie et les vents rythment le quotidien. Les habitants ne craignent rien! En un tour de mains, les parents s’affairent à nous habiller chaudement afin d’affronter la route blanche et son froid glacial et infernal! Chaque bout de peau est recouvert et mis au chaud! Encore une fois, les villageois font preuve d’entraide, de patience et de débrouillardise. Ils affrontent une fois de plus, ce chemin qui nous fait traverser le 50ième parallèle. Sur la route, on sent le NORD, le GRAND NORD! Entre grésil, bourrasques et blizzard, on survit aux vents déchainés et au parcours cahoteux et cabossé. Seuls les petits bouts d’arbres nous servent de repère! On remet notre vie entre les bonnes mains des courageux habitants de Harrington Harbour!

Enfin arrivés à Chevery, nous voilà sautés dans l’avion. Cette fois, ça y est! Madame multiplie les messages aux parents qui se veulent rassurants. Les vents furieux nous secouent de part et d’autre jusqu’à l’atteinte du dessus des nuages ou règne une atmosphère paisible. À perte de vue, le soleil est radieux, le ciel est bleu azure, les petits moutons blancs donnent un air confortable à notre allée. Puis, une courte pause de carburant au Havre pour mieux repartir vers chez nous ou parents nous attendent avec impatience. Les quinze dernières minutes nous semblent interminables. Les vents nous secouent, le teint passe du rosé au verdâtre, l’altitude mouvementée met notre estomac à l’épreuve, mais c’est avec joie que nous retrouvons notre île, nos parents, notre école et nos nombreux amis les cervidés.

Finalement, cette expérience inouïe et unique en son genre mérite qu’on la revivre. Qui sait, un échange linguistique pour apprendre l’espagnol…Cuba pourquoi pas?

Récit tiré d’un fait vécu,
écrit par les élèves de l’école St-Joseph, Port-Menier, Anticosti
Leydi Paola Viau Dubé, Ariane Malouin, Évangéline Viau Dubé, Lili Michaud, Alexis Poulin, Abigael Perreault, Adam Dumont, Isaac Perreault

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